Monsieur le rédacteur en Chef du New York Times,
Nous venons de prendre connaissance de l’article que votre journal a consacré à notre ville de Roubaix. Nous regrettons que tout l’arc en ciel des forces politiques et associatives intervenant à Roubaix n’ait pu avoir la parole, comme les dirigeants écologistes, communistes, conservateurs, libéraux, l’Université Populaire et Citoyenne, la Fédération des Associations Laïques, le Centre Culturel du Monde Arabe, les églises catholiques ou protestantes, notre propre association Paul Eluard et bien d’autres.
Voici pourquoi nous vous répondons, d’autant plus que certains propos dont vous vous faites l’écho font déjà les choux gras des sites de l’extrême droite française.
Nous connaissons la valeur de votre journal; nous aurions espéré un regard plus rigoureux, des analyses contradictoires et plus contrastées.
Nous nous tenons à votre disposition pour donner une image différente de cette ville dont nous sommes fiers et que nous aimerions à nouveau voir rayonner.
Avec nos sincères salutations,
Pierre Outteryck, Président de l’Association Paul Eluard, professeur agrégé d’histoire, docteur d’État en littérature française, fondateur-animateur de la SARL Geai Bleu Edition.
Eric Mouveaux, Secrétaire de l’Association Paul Eluard, syndicaliste, dirigeant d’association d’Éducation Populaire.
Notre texte traduit en Français :
Le journal « La Voix du Nord », dans son édition du 6 aout 2013, se faisait l’écho d’un article publié dans le New York Times à propos de l’intégration des musulmans dans notre ville de Roubaix. Cet article pose un regard et des affirmations qui méritent qu’on s’y arrête.
Tout d’abord quelques rappels :
Roubaix n’est pas une petite ville; elle est la deuxième ville de la région Nord-Pas de Calais, la 42ème ville de France et elle rayonne sur une agglomération de plus de 250 000 habitants. Elle fut surnommée la Manchester du Nord, avant que le patronat textile ne saccage des usines que les experts reconnaissaient encore comme performantes dans les années 1975-1990. Le but de ces patrons était de faire plus d’argent, ailleurs, et peu importait le sort des populations roubaisiennes.
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Aujourd’hui à Roubaix, il y a plus de 22 % de chômeurs et près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté. En revanche les
grandes familles issues du textile comme les Arnault et les Mulliez se portent bien. Leur très grande fortune trouve en grande partie sa source dans la casse de l’industrie textile et la misère des roubaisiens.
Depuis le XIXe siècle, Roubaix fut une ville d’immigration. Belges, portugais, italiens, espagnols, polonais, populations d’Afrique du Nord, d’Afrique subsaharienne et d’Asie, ces travailleurs ont participé eux aussi à construire les richesses de notre ville.
Le mouvement ouvrier a toujours eu pour souci de leur permettre de vivre ensemble, de les respecter, de leur donner un coin de ciel bleu. Ces syndicalistes, ces militants socialistes ou communistes étaient tous marqués par la puissance fédérative de la laïcité.
La laïcité, en France, c’est le respect absolu de la liberté de conscience, le respect de soi même et des autres, la volonté politique de permettre à chacun de pratiquer sa religion et d’éviter toute discrimination, tout communautarisme aujourd’hui souvent caché sous la langue de bois du multiculturalisme.
En 1892, le premier Maire ouvrier, Henri Carette, libre penseur notoire, déclarait : « la pauvreté est dramatique dans notre ville, je veux que tous les enfants d’ouvriers puissent avoir un repas chaud par jour. Beaucoup sont issus de familles chrétiennes ; le vendredi il n’y aura pas de viande afin que cela ne gêne pas leurs convictions ».
Quarante ans plus tard, Jean-Baptiste Lebas, Maire socialiste de Roubaix, assassiné par les nazi en 1943, développe pour tous les roubaisiens un lieu de sports et de cultures rue Nabuchodonosor, aujourd’hui en déshérence. Il crée aussi une piscine et des bains publics ultra modernes en 1930.
Associations catholiques et protestantes, groupes laïques, ont tout mis en œuvre pour développer des relations entre les communautés. Aujourd’hui, des associations où militent des femmes et des hommes musulmans travaillent dans le même état d’esprit, comme le dit Sliman Taleb Ahmed, président du collectif des institutions musulmanes de Roubaix, dans l’article du New York Times : « Notre leitmotiv est de vivre ensemble, et dans ce vivre ensemble, il y a une image que nous voudrions donner de la communauté musulmane: que nous sommes des citoyens français avant tout, avant l’aspect religieux.»
Dans cet article plusieurs assertions méritent d’être analysées de près :
Laïcs que nous sommes, nous pensons que le vivre ensemble ne peut se réduire à la construction nécessaire de lieux de cultes.
Le mieux vivre ensemble à Roubaix passe aussi par la fin de la misère, des discriminations à l’emploi, des contrôles au faciès, de la ségrégation territoriale ; par le droit effectif à un logement digne, à l’énergie, à l’eau, aux transports, à la culture.
Il passe aussi par l’implication des citoyens et de leurs associations dans les décisions publiques, dans le respect de l’identité, de la dignité et de la légitimité de chaque partenaire.
Il passe enfin par le droit de vote de tous les résidents étrangers aux élections locales ; toujours promis, toujours repoussé…
L’ancienne Ministre de la Jeunesse et des Sports, députée de Seine Saint Denis, Marie-Georges Buffet, rappelle qu’il y a moins de policiers et d’enseignants par habitant en Seine Saint-Denis que dans les Hauts-de-Seine, département le plus riche de France. Elle affirme que les banlieues ne veulent pas d’un plan spécifique, elles veulent la fin des discriminations.
A l’instar des médias français, l’article présente les événements de Trappes, les réduisant à un problème religieux. Rappelons la lettre au Premier ministre d’Alain Hajjaj, Maire PCF de La Verrière (commune limitrophe de Trappes) : « Il ne faut pas se tromper de sujet, le problème de nos quartiers n’est pas l’islam. L’essentiel des musulmans sont des citoyens ordinaires ayant les mêmes inquiétudes et les mêmes désirs que les autres habitants.(…) C’est un chemin de croix humiliant que d’être pauvre (…) Beaucoup de jeunes citoyens et de moins jeunes expriment leur sentiment de n’être ni reconnus ni respectés. (…) Un quotidien vécu par beaucoup comme une succession de brimades, de « refus », de « rejets », de contrôles par des agents des services publics, de présentation de papiers. On nous dit sans cesse que les quartiers s’éloignent de la République et basculent soit vers la religion, soit vers le banditisme. N’est-ce pas plutôt la République qui s’éloigne des quartiers et laisse le champ libre à d’autres formes d’organisation sociale ou d’économie ? »
Nous aimerions entendre ce type de propos par les responsables politique de notre ville. Grâce à leurs mandats, ils pourraient être un levier pour obtenir enfin le droit de vote de tous les étrangers, l’arrêt des contrôles au faciès, la fin de la stigmatisation de nos quartiers, identifiés comme « zones de sécurité prioritaire ».
Aujourd’hui, suivant les chiffres du Maire, Roubaix compterait 20 % de musulmans. Selon les propos de Bertrand Moreau, chargé de communication du maire de Roubaix : « Quand vous regardez la courbe démographique, dans deux ou trois générations, toute la France ressemblera à Roubaix ». Selon lui « Roubaix est un laboratoire » !
Il oublie que tous les démographes et les géopolitiques, comme Emmanuel Todd, expliquent que le taux de fécondité dans tous les pays du monde ou presque est devenu inférieur à trois enfants par femme. En France, les familles d’origine étrangère ont des fécondités proches des familles autochtones. Toutes les statistiques le prouvent, le métissage interculturel se développe. Les propos de monsieur Moreau sont graves, sont dramatiquement graves. Ils amènent de l’eau au moulin de l’extrême droite qui voit notre pays submergé par une « marée musulmane ».
Roubaix un laboratoire pour la France ? Quel avenir ? 22 % de chômeurs, un développement économique exclusivement exogène, 43 % des familles vivant sous le seuil de pauvreté… et des jeunes qui par dérision portent un t-shirt « I’m Muslim. Don’t Panic ».
Roubaix, le Nord Pas de Calais, la France méritent mieux que cela.
Pierre Outteryck,
Président de l’Association Paul Eluard, professeur agrégé d’histoire, docteur d’État en littérature française, fondateur-animateur de la SARL Geai Bleu Edition.
Eric Mouveaux,
Secrétaire de l’Association Paul Eluard, syndicaliste, dirigeant d’association d’Éducation Populaire.
Le texte original adressé au New York Times :
Dear Editor-in-Chief of the New York Times,
We have just read the article that your journal devoted to our city of Roubaix. We regret that the whole rainbow of political and associative forces operating in Roubaix could not take the word as leaders environmentalists, communists, conservatives, liberals, the People’s University and Citizen, the Federation of Lay Associations, the Cultural Center of the Arab World, the Catholic and Protestant churches, our own Paul Eluard and other associations.
Here’s why we are responding, especially as some opinions you’re publishing are already fodder for sites the French extreme right.
We know the value of your newspaper, we would have hoped for a more thorough look, and more contrasted analyzes.
We are at your disposal to give a different image of the city that we are proud and we would like to see shine anew.
Sincerely,
Outteryck Pierre, President of the Association Paul Eluard, Associate Professor of History, Ph.D. French literature, founder-leader of the Blue Jay Ltd Edition.
Eric Mouveaux, Association Secretary Paul Eluard, unionist leader of Popular Education Association.
The newspaper « La Voix du Nord » in its issue of August 6, 2013, echoed in an article published in the New York Times about the integration of Muslims in our city of Roubaix. This article takes a look and statements that deserve attention.
First a few reminders:
Roubaix is a small town and is the second largest city in the Nord-Pas de Calais region, the 42nd largest city in France representing a city of over 250,000 inhabitants. It was called the Manchester of the North, before the textile employers ransacked factories that experts still recognized as successful in the years 1975-1990. The purpose of these CEOs was to make more money elsewhere, not taking into account the fate of Roubaix populations.
Today in Roubaix, unemployment is above 22% and nearly half the population lives below the poverty line. In contrast, large families from textiles such as Arnault and Mulliez are doing well. Their vast fortune is largely rooted in the breaking of the textile industry and the misery of Roubaix people.
Since the nineteenth century, Roubaix was a city of immigrants. Belgian, Portuguese, Italian, Spanish, Polish, North Africa, sub-Saharan Africa and Asian populations, these workers are also involved in building the wealth of our city.
The labor movement has always been busy enabling them to live together, to respect them, to give them a bit of blue sky. These unionists, the socialist or communist activists were all marked by the Federal power of secularism.
Secularism in France means absolute respect for freedom of conscience, respect for oneself and others, the political will to allow everyone to practice their religion and to avoid any discrimination, community ghettos today often hidden in the jargon of multiculturalism.
In 1892, the first working-class Mayor Henry Carette, notorious freethinker, said: « Poverty is dramatic in our city, I want all the children of workers can have a hot meal per day. Many are from Christian families on Friday there will be no meat so that it does not interfere with their beliefs. «
Forty years later, Jean-Baptiste Lebas, Socialist mayor of Roubaix, murdered by the Nazis in 1943, develops for all Roubaix people a place for sports and street cultures Nebuchadnezzar Street, now dormant. He also creates a pool and ultra modern bathhouse in 1930.
Catholic and Protestant associations, secular groups have worked hard to develop relationships between the communities. Today, associations where women and men Muslim activists working in the same state of mind as Sliman Taleb Ahmed, chairman of the group of Muslim institutions Roubaix said in the article in the New York Times:
« Our motto is to live together and in this ‘live together’, there is an image that we would like to give the Muslim community that we are French citizens foremost, before the religious aspect. »
In this article several assertions deserve to be closely analyzed:
We lay, believe that living together can not be reduced to the necessary construction of places of worship.
The ‘live better’ together in Roubaix means also the end of poverty, discrimination in employment, racial profiling, territorial segregation, the effective right to decent housing, energy, water , transportation, culture.
It also requires the involvement of citizens and their associations in public decisions in respect of identity, dignity and legitimacy of each partner.
Finally, it goes through the right of vote of all foreign residents in local elections; always promised, always delayed …
The former Minister of Youth and Sports, MP for Seine Saint Denis, Marie-George Buffet, said there are fewer police officers and teachers per capita in Seine-Saint-Denis in the Hauts-de-Seine, the richest region in France.
She asserts that the suburbs do not want a specific plan, they want an end to discrimination.
Like the French media, the article presents the events of Trappes, reducing them to a religious problem. Let’s recall the letter to of Alain Hajjaj Mayor PCF The Canopy (town bordering Trappes) to the Prime Minister: « Make no mistake, the problem of our neighborhoods is not Islam. The majority of Muslims are ordinary people with the same concerns and the same desires as other people. (…) It is humiliating to be poor (…) a lot of young and less young people and express their feeling of being neither recognized nor respected. (…) A daily experience by many is a succession of bullying, « refusal », « rejection » by public officials, ID controls. We are told constantly that the neighborhoods are moving away from the Republic and fall either to religion or to the crime. Is it not rather the Republic that moves away from neighborhoods and leaves the field open to other forms of social organization or economy? «
We would like to hear this kind of questions from officials of our city. With their mandates, they could be leveraged to finally get the right of vote of all foreigners, to stop racial profiling, to end of the stigma of our neighborhoods identified as « priority security zones. »
Today, according to figures from the Mayor, Roubaix counts 20% of Muslim people. In the words of Bertrand Moreau, communications officer of the mayor of Roubaix: « When you look at the demographic curve, in two or three generations, all France will look like Roubaix. » According to him « Roubaix is a laboratory! »
He forgets that all demographers and geopolitical experts like Emmanuel Todd, explained that the fertility rate in almost all countries of the world fell below three children per woman. In France, families of foreign origin have fertility close to autochthon families. All the statistics prove it, intercultural mixing develops. The words of Mr. Moreau are serious, are dramatically serious. They bring water to the mill of the extreme right who sees our country overwhelmed by « Muslim tide » .
Roubaix a laboratory for France? What’s the future? 22% unemployment, a purely exogenous economic development, 43% of families living below the poverty line … and youth who are in derision whearing a t-shirt « I’m Muslim. Do not Panic. «
Roubaix, Nord Pas de Calais, France deserve better.
Pierre Outteryck,
President Paul Eluard, Associate Professor of History, Ph.D. French literature, founder-leader of the Blue Jay Ltd Edition Association.
Eric Mouveaux,
Association Secretary Paul Eluard, unionist leader of Popular Education Association.