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Traité transatlantique: PS contre Front de Gauche et écologistes

22 mai 2014 sur Médiapart |  Par Lénaïg Bredoux

À l’occasion d’un débat à l’Assemblée nationale, les socialistes ont détricoté une résolution du Front de gauche, soutenue par les écologistes, demandant la suspension des négociations sur l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis.

Le débat en est devenu surréaliste. Jeudi, les députés ont examiné une résolution du groupe Front de gauche à l’Assemblée nationale demandant la suspension des négociations sur le projet de traité de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Sauf que le PS a complètement dénaturé le texte, plutôt que de s’y opposer à trois jours des élections européennes.

« Le groupe Front de gauche s’est vu contraint de voter contre son propre texte. »La première phrase du chassaignecommuniqué des députés communistes et apparentés résume l’absurdité de ce qui s’est joué dans l’hémicycle jeudi après-midi. En résumé : le Front de gauche dispose chaque année d’une niche parlementaire au cours de laquelle il peut soumettre des textes au vote. Cette fois, il a choisi une résolution demandant la suspension des négociations sur l’accord de libre-échange avec les États-Unis (appelé TTIP ou TAFTA). Une position partagée par les écologistes, par une poignée d’élus de droite et par la députée FN Marion Maréchal-Le Pen.

Mais à trois jours des européennes, le PS n’a pas voulu s’opposer frontalement au texte. Il a donc choisi de multiplier les amendements pour le détricoter : exit la demande de suspension des négociations, pourtant au cœur de la résolution, ou l’exigence de retirer le mécanisme de règlement des différends, vivement contesté par les opposants au Traité (lire notre article sur le piège caché).

En commission la semaine dernière, les échanges avaient été surréalistes : la députée PS Estelle Grelier, tout sourire, avait ainsi fait adopter un « amendement dur », selon son expression, pour remplacer la suspension des négociations par « l’exercice d’une grande vigilance ». Commentaire impuissant d’André Chassaigne, député PCF en charge du texte : « Notre proposition de résolution sera un couteau sans lame qui aura perdu son manche. »

Jeudi, rebelote, dans l’hémicycle, où le PS dispose de la majorité, même si bien peu de députés ont assisté aux débats. Le Front de gauche et Europe Écologie-Les Verts (ici ou par exemple) ont bien déposé des amendements pour revenir au texte initial. En vain. La résolution se contente pour l’essentiel d’en appeler à davantage de transparence dans les négociations.

Finalement, le Front de gauche a voté contre : « Les députés socialistes ont préféré dénaturer notre texte, car ils n’assumaient pas de voter une dénonciation de la dérive libérale et atlantiste du gouvernement. » Et les écologistes ont refusé de prendre part au vote, dénonçant une « mascarade » (voir l’intervention du député EELV Jean-Louis Roumegas).

Depuis plusieurs mois, les socialistes font assaut d’ambiguïtés et multiplient les déclarations contradictoires sur le traité de libre-échange en cours de négociations. L’an dernier, les militants du PS avaient majoritairement voté pour la suspension des discussions – c’était dans le cadre de la convention Europe, sous forme d’un amendement (le n° 10), déposé par l’aile gauche du parti. Mais ces votes avaient fait l’objet d’un psychodrame incompréhensible, comme le PS en a le secret.

À l’inverse, en mai 2013, au diapason du gouvernement de Jean-Marc Ayrault, les eurodéputés socialistes français avaient soutenu le mandat donné à la Commission européenne pour mener les négociations. À l’exception de trois élus de l’aile gauche Liêm Hoang-Ngoc, Françoise Castex et Isabelle Thomas qui avaient voté contre. Sauf que jeudi, à l’Assemblée, l’aile gauche du PS a fait profil bas : hormis une intervention à la tribune de la députée Nathalie Chabanne, qui s’est dite favorable à un référendum, aucun député de son courant n’a voté les amendements du Front de gauche.

image_draculaGlobalement, le PS s’est convaincu qu’un tel traité pourrait avoir des avantages pour la France, en relançant la croissance européenne, et qu’il valait mieux négocier que de s’opposer par principe.

Mais à l’approche du vote des européennes, les socialistes ont pris peur, inquiets de voir se reproduire le « syndrome du plombier polonais de 2005 », selon l’expression d’une ministre du gouvernement. En meeting, ils multiplient les critiques, jurent qu’ils seront très vigilants et soulignent que de telles négociations pourraient durer bien longtemps. Il faut « dédramatiser », insiste la secrétaire d’État au commerce extérieur Fleur Pellerin.

Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture et porte-parole du gouvernement, le dit au détour d’une conversation en listant toutes les raisons pour lesquelles un tel traité est encore bien incertain : « Aux États-Unis, Barack Obama n’a pas de majorité. D’autant moins qu’il risque de perdre les mid-terms. Par ailleurs, l’accès aux marchés publics américains est une contrepartie indispensable. Or l’État fédéral américain renvoie vers les États. Tout cela peut durer des années. »

Les chefs de file PS aux européennes se sont même fendus d’une tribune dans Le Monde pour prendre leurs distances avec les négociations en rappelant leur attachement au « juste échange ». Ils promettent également qu’ils refuseront le fameux mécanisme de règlement des différends, qui doit permettre à une entreprise privée de faire condamner un État par un tribunal de droit privé. Mais sans rappeler que la France n’a pas exigé qu’il soit exclu du mandat de négociations !

Sur le plateau de Mediapart, face à Jean-Luc Mélenchon (PG) et Emmanuelle Cosse (EELV), tous deux opposés au TTIP, le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis avait aussi lâché : « Pour l’instant, c’est non. Parce qu’on ne dit pas “oui” à quelque chose qu’on ne connaît pas. » Puis : « Ce qui nous revient (des négociations tenues secrètes, ndlr), ce n’est pas acceptable. »

Sauf qu’en février, lors d’une visite aux États-Unis, François Hollande avait dit tout le contraire : « Aller vite n’est pas un problème, c’est une solution. Nous avons tout à gagner à aller vite. Sinon, nous savons bien qu’il y aura une accumulation de peurs, de menaces, de crispations. »

André Chassaigne. « Ne pas opposer environnemental et social »

Nous reproduisons ci dessous un article publié dans le journal « La Marseillaise »

Le point sur les contradictions entre capitalisme et lutte environnementale.chassaigne

Avec la transition écologique, le Front de Gauche s’est approprié une réflexion environnementale à l’élection présidentielle. Le point sur l’analyse et les propositions avec le Président du Groupe Front de Gauche à l’Assemblée Nationale, André Chassaigne.

La Marseillaise. Que pensez-vous de l’impossibilité de consensus et de la réaction du Medef. Cela ne souligne-t-il pas l’impossibilité structurelle du capitalisme à opérer une transition en contradiction avec son fonctionnement ?

André Chassaigne. Pour avoir une nouvelle politique dans le domaine de l’environnement et plus particulièrement de l’énergie, cela implique de mettre en œuvre des orientations qui répondent à la fois aux objectifs sociaux et environnementaux. Mais réfléchir à ces orientations avec sur la tête le couperet financier, l’exigence de rentabilité et de profit à court terme qui sont l’essence même du capitalisme… La réponse risque d’être insatisfaisante. Les luttes contre les politiques d’austérité et pour un autre type de développement permettent une montée en charge environnementale. Ce ne sont pas des combats différents.

La Marseillaise. Pouvez-vous expliquer les contradictions avec le fonctionnement capitaliste ?

André Chassaigne. La priorité est d’avoir une politique de sobriété énergétique et de meilleure performance. Cela suppose le développement de la recherche, ce qui relève de la dépense publique. C’est en contradiction avec le court terme inhérent à l’extrême financiarisation. Évidemment, ce n’est pas source de profit immédiat. Mais c’est porteur d’énormément d’amélioration si on se place du point de vue du développement humain.

Autre contradiction avec le capitalisme, la nécessité d’une maîtrise publique. C’est le seul moyen d’avoir une lutte environnementale qui prenne en compte la problématique sociale.

environnement socialLa Marseillaise. Sur la question environnementale, le PCF a longtemps privilégié la défense des outils de production et des emplois. Pourquoi et comment cela a-til évolué ?

André Chassaigne. Il y a un décalage entre la réflexion que nous menons, notre prise de conscience de l’impact de notre activité sur l’environnement, de l’épuisement des ressources, du réchauffement climatique… et l’image que nous donnons. On nous plaque une réputation de productiviste voire de Groupe politique qui n’est pas intéressé par ces questions. Or, si on fait la somme des réflexions produites depuis des années, les propositions innovantes sont nombreuses avec la qualité de ne pas être érigées en opposition à la question sociale. Mais nous ne parvenons pas à les faire remonter.

La Marseillaise. Ne faut-il pas travailler les classes populaires qui, pour des raisons souvent financières, ne se sentent pas concernées par ces problématiques volontiers qualifiées de « BO-BO » ?

André Chassaigne. Il faut effectivement faire œuvre de pédagogie, comme on aime à le dire : éveiller les consciences. D’autant que ces classes populaires sont les premières victimes des dérives écologiques. Ce sont eux qui vivent dans des appartements mal isolés et subissent des charges énergétiques énormes ; eux qui vivent dans les banlieues et sont condamnés à une voiture chère et polluante.

Ceci posé, notre nature fait que, nous croyons que ce type d’évolution passe par l’action. Quand des militants s’investissent dans des AMAP pour l’agriculture paysanne, ils font évoluer les consciences. Quand des interventions contre une autoroute portent sur les enjeux environnementaux et ne se cantonnent pas à la défense immédiate de son bout de trottoir, aussi.

Propos recueillis par Angélique Schaller (La Marseillaise, le 20 juillet 2013)